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Objectif "Big 4" : les grands travaux de la LFP pour redresser le football français

Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de Football Professionnel (LFP). Photo AFP.
Ces dernières années, la Ligue de Football Professionnel (LFP) a piloté de nombreuses actions afin de permettre au football français de se hisser sur le devant de la scène européenne. Avec, comme point d’orgue, une négociation historique de ses droits télévisés avec le groupe espagnol Mediapro, contre une promesse de plus d’un milliard d’euros par saison pendant quatre ans.

Pour exister dans une Europe du football de plus en plus riche, au sein d'une société aux modes de consommation et de communication changeants, il faut s’adapter. C’est le constat publiquement émis depuis quelques années par la LFP, le gestionnaire du football professionnel français, et plus précisément depuis la nomination de Nathalie Boy de la Tour à sa présidence, en novembre 2016.

Une analyse du secteur qui se traduit rapidement en actes, avec l’élaboration d’un plan stratégique pour la période 2017-2022. Parmi les nouvelles priorités de la ligue, on note alors la volonté d’améliorer la compétitivité du football français face à ses homologues européens, ou encore de développer une stratégie de marque et de communication pour le valoriser à l’international. Autant de missions qui paraissent ambitieuses au vu de l’image parfois vieillotte et ennuyeuse véhiculée par les championnats français, mais indispensables pour pouvoir espérer recoller au football italien et allemand en matière de compétitivité, d’économie, de prestige.

Infographie / LFP


L’argent comme levier incontournable

Tabou historico-culturel, parler d’argent en France est encore aujourd'hui la porte ouverte à toutes les critiques. S'intéresser à l’argent du football, c'est entrouvrir la boîte de Pandore... Outre les récurrentes critiques du foot-business et les polémiques initiées, entre autres, par les Football Leaks, même les fans, qui participent activement au rayonnement économique du secteur, s’offusquent aisément de transactions - il est vrai - de plus en plus conséquentes,  en critiquant dans le même temps le manque de compétitivité des clubs français sur le plan européen et soulignant par la même occasion le désintéressement général des étrangers pour le championnat de France. Paradoxe.

Pourtant, à l’heure de l’hégémonie d'un football qui jouit d’une popularité sans commune mesure en comparaison aux autres sports et aux décennies passées¹, l'argent apparaît comme une donne cruciale. Des moyens financiers supplémentaires doivent permettre au foot français de tirer le meilleur d'un écosystème lucratif et de se positionner, par la même occasion, face à la rude concurrence du Big 4 européen (Premier League, Liga, Bundesliga, Serie A). Car actuellement cantonné à un rôle de laboratoire géant et fréquemment pillé par ces monstres économiques, il va de soi qu'il ne peut se permettre de se soustraire à la règle, sous peine de manquer un rendez-vous historique.

Pour rivaliser, les clubs français n'ont donc pas le choix : ils doivent investir. Que ce soit sur le marché des transferts, dans leurs infrastructures, dans la formation. Pour ce faire, ils peuvent essentiellement s'ouvrir aux investisseurs et compter sur eux pour injecter des capitaux, ou miser sur la rétribution des droits télévisés récoltés par la LFP, qui profite à l’ensemble des clubs professionnels et en particulier aux plus petites écuries à mesure que les sommes grimpent…


La conséquence de ce modèle économique, c'est la création d'un cercle vertueux. Si le niveau des clubs français augmente, que le spectacle est de meilleure qualité, qu’il est plus largement diffusé, mieux promu, et surtout, qu’il reste accessible aux fans, alors les annonceurs, sponsors et le merchandising viennent compléter l’addition, et le football français peut espérer refaire son retard sur la concurrence.

Une large stratégie de prospection

En suivant cette logique, la LFP saisit le taureau par les cornes et engage une course à l'argent en signant, dès 2017, des accords avec les enseignes Conforama et Domino's, qui deviennent respectivement "sponsors titres" de la Ligue 1 et Ligue 2. Des choix qui suscitent les railleries des fans, qui déplorent un certain manque de cohérence et de prestige. Qu'importe pour l'entrepri... l'association de loi 1901 (qui n'a en soi d'association plus que le statut juridique), elle doit s'en contenter.


Si les 25 millions d'euros engendrés sur trois ans apparaissent comme minimes en comparaison aux contrats de naming décrochés chez les voisins européens, ils constituent un premier apport visant à garnir la malle aux droits TV, priorité absolue. "Notre transformation se fera à travers l’évolution des droits télé et la diffusion de nos compétitions [...] C’est le premier sujet stratégique de réflexion et de prospective"², confirme Nathalie Boy de la Tour, en ajoutant que le second axe concerne "la transformation digitale".

En matière de droits TV, la modique somme de 748,5 millions d'euros par saison, versée à la ligue par le duo beIN Sports/Canal + sur la période 2016-2020 pour s'offrir ceux de la Ligue 1, ne suffit plus. Pour satisfaire son appétit glouton et s'ajuster sur des droits européens de plus en plus forts, le prochain appel d'offre de la LFP revêt de la plus haute importance. Son pilotage, quant à lui, se veut des plus subtiles.

Un jackpot historique

Le 25 avril 2018 signe le lancement de l'opération droits TV pour la LFP. Dans le détail, le système d'enchère se veut complexe et vise à faire grimper les prix en mettant les diffuseurs sous pression. L'objectif annoncé est le suivant : dépasser le milliard d’euros par saison en droits télévisuels domestiques. Si le pari semble audacieux, la LFP limite les risques en fixant une somme minimale tenue secrète pour chaque lot qu'elle soumet à la vente, se réservant le droit de ne pas les attribuer si celle-ci n'est pas atteinte. L'appel d'offre sera dans ce cas reconduit quelques mois plus tard.

Si la ligue compte entre autres sur l'arrivée de Neymar dans son championnat pour atteindre son objectif, les principaux concurrents aux droits TV, déjà propriétaires de ceux en cours (beIN Sports et Canal +), semblent vouloir calmer les ardeurs de l’organisateur en indiquant qu'ils ne pourraient pas se permettre d'investir à perte. Le doute plane alors quant aux aboutissements des enchères, qui doivent se tenir le 29 mai 2018.

Le jour J, la nouvelle tombe : un accord historique estimé à 1,153 milliard d'euros a été conclu. Hormis beIN Sports qui se positionne à hauteur de 330 millions d'euros et Free, c'est le groupe sino-espagnol Mediapro, jusqu'alors inconnu du paysage audiovisuel français, qui empoche les gros lots.

Le régisseur du football français, qui voit sa cagnotte aux droits TV bondir de 60 %, peut célébrer la réussite de son opération. Tout comme l'ensemble des clubs de ligue 1, qui en bénéficieront largement. Une grande victoire sur le plan économique, qui propulse la France au contact de ses rivaux en matière de revenus liés aux droits de diffusion domestiques. 1,153 milliard d’euros, c’est plus que le championnat italien et espagnol, et légèrement moins que le championnat allemand.

Mediapro et la promesse d'une mise à niveau

Du côté du public, l’accueil réservé à Mediapro est bien plus mitigé. Ce nouvel acteur bouscule les "historiques" du championnat et s'additionne à un paysage audiovisuel français déjà bien fourni en matière de football. Pour ajouter au scepticisme, quelques jours après son investissement dans le championnat de France, les acquisitions de la société sur les droits sur la Serie A pour la période 2018-2021 (contre 1,05 milliard d'euros) lui sont retirées. La faute à un cahier des charges ambigu du championnat italien, et qui réclamait à son nouveau diffuseur des garants financiers immédiats.

Il n’y a aucune raison que le football français soit le dernier en Europe et n’atteigne pas les niveaux de l’Espagne ou l’Italie, en fréquentation ou en poids économique.

Jaume Roures, le patron de Mediapro (à gauche), 
et Julien Bergeaud, directeur général du groupe 
pour la France. Photo AFP.
Face à cette défiance, les principaux acteurs de cette négociation inédite ont de suite cherché à rassurer. "Notre appel d’offres est très clair, ce qui ne semble pas avoir été le cas de celui de la Serie A [...] Il n’y a donc pas de risques de voir en France ce qui se passe en Italie"³, commente rapidement Didier Quillot, le directeur général de la LFP. Du côté de Mediapro, c'est le patron fondateur de la société qui explique son investissement. "Notre but, comme en Espagne, c’est de créer nous-mêmes une chaîne 100 % foot et de la faire distribuer par tous les opérateurs possibles [...] Nous sommes là pour faire grandir le foot en France. Il n’y a aucune raison que le football français soit le dernier en Europe et n’atteigne pas les niveaux de l’Espagne ou l’Italie, en fréquentation ou en poids économique."

Cap sur l'international

Ce nouveau contrat, indispensable pour permettre au football français de se positionner sur le devant de la scène européenne et d'augmenter son attractivité, signe-t-il pour autant son entrée dans le cercle fermé des top nations du vieux continent ? Si l'on se base uniquement sur les revenus liés aux droits domestiques : oui, indéniablement. Néanmoins, une ombre - et non des moindres - demeure au tableau : la diffusion du championnat de France à l'étranger.


Négociés en 2014 avec beIN Sports pour la période 2018-2024, les droits internationaux rapportent 80 millions d'euros de minimum garanti à la LFP chaque année. Une hausse de 146% en comparaison aux droits de la période précédente. À l'époque, l'affaire apparaît comme des plus juteuses. Seulement voilà, c'est à cette même période que la valeur des droits TV connaît une flambée considérable et qui sera largement mieux exploitée par le voisinage footballistique européen, plus patient, clairvoyant et surtout attractif.

Mon chantier prioritaire est d’augmenter les revenus de la Ligue 1 à l’international. En France, on a quinze ans de retard par rapport à nos concurrents européens.

Actuellement 3 fois moins importants que ceux de la Bundesliga (240 millions d'euros), 4,5 fois moins importants que ceux de la Serie A (371 millions d'euros), ces montants négociés pour les droits internationaux du championnat français sont vivement critiqués par 19 des 20 présidents des clubs de ligue 1 (le 20e étant à la fois président du Paris Saint-Germain et de beIN Sports), qui notent un manque à gagner considérable. Interrogée sur le sujet, Nathalie Boy de La Tour ne peut que concéder le retard pris par ses prédécesseurs. "Mon chantier prioritaire est d’augmenter les revenus de la Ligue 1 à l’international. En France, on a quinze ans de retard par rapport à nos concurrents européens. Il faut optimiser ces droits internationaux."

Nasser Al-Khelaifi, président de beIN Media Group
et du Paris Saint-Germain.
Photo Reuters/Jacky NAEGELEN
Pourtant, une clause établie dans le contrat entre l’opérateur qatari et la LFP - plutôt maline au premier abord - aurait pu faire gonfler la cagnotte. En effet, celle-ci stipule que 50 % des bénéfices réalisés sur les montants additionnels négociés par BeIN Sports avec les diffuseurs locaux à l'étranger (via la sous-licence de ses droits TV) doivent être reversés à la LFP. Dans un marché aux droits TV en pleine ébullition, comment se fait-il que le groupe du golfe n'ait dégagé que 75 millions d'euros de bénéfice pour la saison 2018-2019, sois juste le minimum garanti négocié avec la ligue ? La réponse semble être à chercher du côté du statut de diffuseur/vendeur de beIN Media Group. Lui-même diffuseur de la Ligue 1 au Moyen-Orient, aux États-unis ou au Maghreb. Dès lors, les Qataris ne font tout simplement pas monter les prix.

Handicapé par cette erreur stratégique, le comité exécutif de la LFP indique "être en négociations constantes avec beIN Sports pour avoir la meilleure exposition possible ". Mais constatant la non avancée de ces dernières, le président de l'Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas, soumet en fevrier 2020 l'idée d'attaquer le groupe qatari en justice par l'intermédiaire d'une plainte de la Ligue, pour le compte des clubs.

Nous voulons faire de la Ligue 1 l’un des trois championnats européens les plus regardés à l'international.

Pour progresser dans sa diffusion à l'international, un nouveau levier est imaginé par la ligue. "Un service OTT (ndlr, over-the-top, diffusé via le réseau internet comme Netflix ou Molotov TV) pour l’international sera lancé d’ici la fin de l’année (finalement à l'été 2020 ou 2021). Il existe déjà en Chine. Nous voulons faire de la Ligue 1 l’un des trois championnats européens les plus regardés à l'international. Nous devrions pouvoir nous rapprocher de la Bundesliga (et ses 240 millions d'euros de revenus internationaux)."

Allant dans le sens de sa transformation digitale inscrite dans son plan de développement stratégique de 2017, le déploiement de cette "chaîne" - affranchit des opérateurs TV classiques et qui prendra la forme d'une application - proposera les directs des matchs du championnat de France et de la VOD. "C'est un projet international, en allant proposer directement l'appli sur des marchés où la Ligue 1 n'est pas diffusée aujourd'hui, comme la Belgique, la Pologne, les Pays-Bas... Dans ces pays, il y a souvent une situation de monopole et les sommes qui nous sont proposées ne nous conviennent pas", explique le directeur droits média production et international de la LFP, Mathieu Ficot. Précisant par ailleurs que cette plate-forme OTT fournira à l’agent commercial international de la ligue (beIN Media Group) "des atouts supplémentaires pour optimiser nos droits TV internationaux".

Opération séduction

Se construire une réputation. Développer son image de marque. Soigner sa communication. En d'autres termes, séduire. Voilà le second axe sur lequel la LFP va désormais bûcher. Autant de points indispensables pour attirer les projecteurs et faire de la ligue 1 un championnat incontournable.

Les initiatives menées par la ligue ces derniers mois ont en grande majorité cette vocation. Après avoir négocié en 2019 un nouveau contrat de naming avec le service de livraison de repas Uber Eats pour la période 2020-2022 (deux fois plus rentable, un peu plus prestigieux que Conforama et davantage cohérent), l'association enclenche sa révolution digitale en annonçant, le 30 janvier 2020, le déploiement de quatre nouveaux sites web. Deux tournés vers les fans français pour la Ligue 1 et Ligue 2, un réservé à l'institutionnel, et surtout, un site entier dédié aux fans étrangers, qui marque un tournant en matière de communication.


Une stratégie d'ouverture vraisemblablement payante puisqu'en effet, c’est surtout à l’étranger que la croissance sur les réseaux sociaux de la LFP a été notable. En 2016, seulement 7 % des followers étaient localisés hors de France. Trois ans plus tard, ce sont 33 % des followers de la LFP qui sont domiciliés à l'étranger et les projections indiquent que prochainement, le ratio fans français/étrangers devrait avoisiner les 50-50.

Plus important encore, cette mue digitale et graphique marque le basculement métaphorique du championnat de France dans une nouvelle ère. Une ère où ses moyens financiers peuvent lui permettre de concurrencer le Big 4. La chenille veut s'affirmer papillon et voler aux côtés de ses quatre voisins, mais sans oublier ses racines formatrices qu'elle affiche fièrement aux côtés de son logo dans une signature : "la Ligue des Talents".


Les limites de la surenchère

Conclure ce coup d’œil dans le rétro avec ces réjouissantes perspectives d'avenir pour le football en France, aurait-ce été honnête ?

Photo Agence FEP
Dans les faits, de nombreuses actions concrètes entreprises par la LFP contribueront à l'épanouissement économique des clubs professionnels français. Du spectacle, des stars, de la compétitivité sur le plan européen (et pourquoi pas des titres) peuvent être espérés. Par ailleurs, entre 2017 et aujourd'hui (2020), un titre de champion du monde - rien que ça - a été ajouté au palmarès du football tricolore. L'enivrante passion pour le ballon rond gagne un peu plus les foules et des moyens sans précédent sont mis à disposition du public pour satisfaire la demande.

Reste que de nombreux doutes planent quant à la viabilité d'un modèle dépendant du magot des droits télévisés, qui représentent en moyenne 60 % du budget alloué aux clubs, et dans lequel les investisseurs étrangers s'engouffrent en instrumentalisant à outrance un football drogué à l'argent, sous perfusion constante.

Selon les lectures que l'on en fera, le cercle vertueux - théorisé en début de ce dossier - pourrait davantage s'apparenter à un cercle vicieux, dans lequel l'histoire du football et l'essence même de ce sport sont souillées. Et au-delà des considérations éthiques et idéologiques, la probabilité de voir un football - à l'origine populaire - restreint à une élite met en péril tout un modèle économique.

Photo L'Equipe/P. LAHALLE
Le risque d'une faillite est réel. Car avec l'augmentation des droits et de la concurrence sur le marché de l'audiovisuel, les consommateurs devront débourser davantage pour regarder du foot à la télé. Les prix des billets pour assister à une rencontre en tribune pourraient flamber, laissant un profond dégoût s'installer du côté des fans et qui conduirait à une réduction drastique de la demande (de même que la concurrence du streaming pourrait sérieusement impacter le marché). Les bénéfices des chaînes pourraient baisser et provoquer un détournement des diffuseurs, ce qui impacterait considérablement le budget alloué aux clubs.¹

Par ailleurs, si l'on se recentre sur la France, le nouveau contrat lié aux droits TV domestiques interroge. La chaîne de Mediapro n'a toujours pas été créée et le tarif annoncé d'un abonnement à 25 euros ne serait rentable pour le groupe qu'à partir de 3,5 millions d'abonnés. Même en misant sur une exploitation innovante et de qualité du football français comme produit principal, le projet peut paraître utopiste. De plus, notons que si le retard financier de la Ligue 1 en matière de droits TV domestiques a été comblé sur le Big 4, ses protagonistes sont pour leur part proches d'un nouveau cycle de négociations (en 2021 pour la Bundesliga/Serie A, 2022 pour la Liga/Premier League). Le succès en la matière devrait donc vraisemblablement être de courte durée, laissant de nouveau la France à la traîne jusqu'en 2024 et l'histoire d'une nouvelle course à la surenchère s'écrire. Mais pour combien de temps encore ?

Sources :

1 : https://www.francefootball.fr/news/Football-une-hegemonie-europeenne/1104486


Maurin Balcaen

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