Les Stats NBA : Info Ou Intox ?
La NBA (et plus généralement le basket) produit de très nombreuses statistiques. Ces statistiques doivent, logiquement, nous permettre de mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain, de mieux appréhender l'apport de tel ou tel joueur, son influence réelle sur le jeu et sur le résultat de son équipe. Les stats sont là pour nous guider, nous fans NBA, vers la vérité du jeu. Les stats sont là pour quantifier ce jeu, le "rapporter" et le rendre "concret". Les statistiques sont aussi et surtout de superbes outils au service du marketing et de l'écriture de l'histoire d'un joueur, d'une franchise et plus globalement de la NBA. Mais au bout du compte, les stats, est-ce que c'est si bien que ça ? Et beh c'est pas sûr...
Faut-il faire confiance aux stats NBA ?
Vous l'aurez compris dans le titre et l'intro (enfin j'espère), cet article concerne les stats.
Les stats, c'est un peu une arme. Une arme, tu peux t'en servir pour tuer les méchants, mais aussi pour tuer les gentils, c'est toi qui décides. Et puis il y a les armes à deux balles, genre un canif émoussé, et puis il y a les armes de destruction massive, les trucs à tête chercheuse qui détectent la chaleur.
Les armes sont tellement incroyables en elles-mêmes qu'on en oublie parfois pourquoi on fait la guerre, ou même contre qui on la fait. Ou même pourquoi on en veut. Comme les téléphones aussi : on veut un truc 8G qui fait frigo et tabouret de bar alors qu'on a déjà une connexion internet, un frigo, et un tabouret de bar.
Il y a Statistique et Statistique
Bref, pour parler basket, je dirais donc qu'il y a les stats basiques, c'est-à-dire les stats des magazines : points, rebonds, contres, steals, etc. Les trucs de base. Ça, c'est surtout bon pour les basketix. La vraie valeur d'un joueur ne se définit pas QUE par ces statistiques. Et encore moins sur les moyennes de ces stats.
Il y a aussi les stats avancées : vrai %, win share, defensive win share, ast%, stl%, etc. Là y en a des quantités astronomiques, et elles indiquent des choses un peu plus intéressantes et utiles. Les clubs n'utilisent que de la statistique avancée d'ailleurs, individuelle, collective, ou relative (en fonction des associations de joueurs, des adversaires...).
La stat nous pousse à comparer ce qui n'est pas forcément comparable
Le problème des stats, c'est qu'elles vont nous permettre de comparer les joueurs entre eux.
Personnellement je me refuse à avoir le débat du meilleur joueur de tous les temps, ou même du quoi que ce soit de tous les temps (arrière, pivot, coach, etc.). Le peu que je sais de la science (la science chiante, celle des cours de lycée), c'est que pour comparer des résultats d'expérience il faut que les conditions soient les mêmes. Sinon on analyse autre chose que des résultats, on analyse l'influence des conditions sur les résultats de nos expériences.
La stat basket c'est pareil. Si tu veux comparer des stats, libre à toi, mais jamais ça te servira à dire quel joueur est meilleur. Parce que pour ça, il faudrait que les deux jouent exactement le même nombre de minutes contre exactement les mêmes adversaires avec exactement les mêmes coéquipiers. Et ça, c'est impossible.
Notre sport (le basket) est sacrément complexe
En partant de ce postulat un peu extrême (je vais aller dans l'extrême pour tout de suite saisir l'absurdité du truc), il en découle quelques trucs.
Notre sport est sacrément complexe. De plus en plus. Ou alors on le rend complexe. Les chiffres, vidéos, analyses, tiennent un rôle de plus en plus grand. Un mec comme Cristiano Ronaldo en foot l'a très bien compris. La plupart des franchises NBA aussi (cf. la Sloan Conference). Mais justement, si on le rend complexe à raison la plupart du temps, n'oublions pas non plus qu'il s'agit d'un sport, et qu'au-delà de l'aspect chiffre et technique, il y a un aspect tactique qui prend le dessus.
C'est la tactique qui dicte sa loi
Les stats découlent plus de la tactique en place que la tactique en place découle des stats des joueurs. On peut adapter un système en fonction de ce qu'un joueur ne sait pas faire, bien sûr, mais on cherchera beaucoup plus à mettre un joueur dans une situation où il va performer pour servir le système visé. Et c'est là que commence le chaos.
Parce qu'un mec peut être très bon dans un système, et très mauvais dans un autre. Pourquoi? Parce qu'il n'aura pas su s'adapter, ou parce qu'on aura pas réussi à le faire s'adapter. Les Spurs en sont un très bon exemple, Danny Green notamment.
Un joueur peut aussi avoir des stats impressionnantes dans un système, et moins dans un autre. Pourquoi? Parce que sa nouvelle équipe décide de n'utiliser qu'un aspect de ce joueur. Celui qui servira le mieux le système. Bosh en est un exemple frappant : c'est un joueur qui s'est adapté à un système. D'intérieur proche du cercle, rebondeur, back-to-the-basket, il est devenu un stretch 4 ou même 5 dont le jeu a complètement changé. Miami a sacrifié des points qu'il aurait pu apporter pour lui demander de n'être que la menace de points potentiels, qui apporteraient des points aux autres joueurs de l'équipe.
En gros on peut demander à un joueur de vivre sur une réputation passée de bon joueur, de stat sheet stuffer, pour mettre une pression sur les adversaires qui suffira à créer autre chose pour l'équipe, même si ce sera au détriment des moyennes du joueur concerné.
On compare quoi en fait ?
Comparer les moyennes annuelles d'un même joueur durant sa carrière ne me parait pas révélateur de quoi que ce soit. En dehors de ce que je disais en préambule (différents joueurs en face, autour, poste, contexte, âge aussi), il y a aussi l'utilisation que chaque franchise ou chaque coach a voulu faire du joueur, en ayant une vue d'ensemble de ce que ce joueur a pu bien ou moins bien faire, et en sachant ce que sa franchise avait déjà dans son roster et en fonction de la philosophie de jeu. Là les stats veulent plus rien dire.
Un mot aussi sur les moyennes. Les stats, avancées ou non, ramenées à des moyennes, sont dangereuses. Surtout avec des joueurs irréguliers. Certains joueurs permettent à leur équipe de gagner des matchs, quasiment à eux seul, et notamment en playoffs. Mais sur d'autres matchs, ils ont un rôle limité, ou plus que ça. Il n'en reste pas moins qu'ils gagnent des matchs de Playoffs à eux seuls. Ça c'est à prendre en compte.
Soyons absurdes avec les stats !
Soyons absurdes : Je mets 100 pts dans un match, 0 rbd, 0 ast, rien. Juste 100 pts. Je fais gagner mon équipe, parce que bon, voila. Le match d'après 0 pt. Mais 50 rbds. Pareil, je fais gagner mon équipe, parce que bon, voila. Le match d'après 0 pt, 0 rbd, mais 30 blks. Idem. Etc. etc. A la fin, sur 1à matchs, j'aurai une moyenne de 10 pts, 5 rbds, 3 blks, etc... ce qui est bien, mais pas exceptionnel. En revanche ce qui est sûr c'est que même si j'ai été extrêmement irrégulier, j'aurai été l'artisan principal de 10 victoires de mon équipe.
Ne jamais perdre de vue le terrain
Et ça m'amène à la conclusion de cet article : Le basket est avant tout un SPORT. Avec des chiffres, OK, mais aussi avec du ressenti, du feeling, et un paquet d'intangibles. Le charisme, l'aura, l'expérience...
J'aime les chiffres et je me plonge volontiers dedans. Mais je veux surtout pas perdre de vue le terrain. Je me sens un peu JVG quand il disait que le gars des chiffres allait t'apporter tout un tas de rapports et de tableaux mais que toi, en tant que coach, tu feras ce que tu veux parce que tu as ton ressenti, et que tu vois des trucs que les chiffres ne voient pas.
Et dieu merci, il y a des choses que les chiffres ne verront jamais. Que ce soit dans la construction d'équipe ou sur un système de jeu sur une situation donnée, l'aspect feeling, humain, ressenti, pari même est plus important que n'importe quelle stat. "Plus je connais les hommes, plus j'aime les chiens", disait Germaine de Staël. Moi plus je connais les stats, et plus j'ai envie de m'en écarter parce qu'elles sont un abysse aveuglant qui te fait perdre le contact avec ce qui me passionne plus que tout dans le sport en fait : l'erreur, l'incertitude.
Je ne cherche pas à tuer les stats. C'est juste mes pensées que j'avais envie de poser là. Pour voir si ça suscite quelque chose chez vous ou pas. Et je dis bien que c'est mon avis, je vous donne pas la vérité. C'est un avis que j'ai de plus en plus en tant que coach d'ailleurs. Si j'étais à ce niveau de compétition, je pense que je serais comme JVG : je lirais les stats, mais je changerais pas d'avis à cause d'elles!
Mike
Expert NBA
Team Who's The Bet
Une réflexion extrêmement intéressante, mais parfois trop tranchée à mon avis. Tout ce que tu dis est vrai (même si parfois discutable), mais tu ne parle pas de ce que les stats ont apportées pour nuancer ton point de vue. La "data révolution" a énormément apporté au sport (si bien qu'elle en devient même, effectivement, parfois dangereuse) et la façon de manager une équipe. Certes, un sport ne se résume pas aux statistiques (heureusement !), et je pense qu'aucun amoureux du sport ne voudrait que ça soit le cas ni aujourd'hui, ni à l'avenir. Mais on ne peut pas nier non plus l'importance qu'elles ont pour le comprendre, en témoigne la domination allemande au foot (l'Allemagne étant le premier pays à avoir adopté ce type d'analyse pour adapter son jeu), ou l'idée insensée de Billy Beane, GM des Oakland Athletics (MLB) de monter une équipe en se fiant uniquement aux stats malgré les réputations des joueurs (sabermétrie), qui a incroyablement mené l'équipe à des niveaux inespérés !
RépondreSupprimerEn tout cas, super article, réflexion vaste et très très intéressante !
Alors d'abord merci pour le com. Ensuite pour répondre je vais d'abord replacer l'article dans son contexte : en fait il ne s'agit pas d'un article, mais d'un post sur un groupe de discussion privé qui faisait suite à un débat animé sur l'apport (ou le non-apport, c'était selon) de Josh Smith à Houston. J'ai donné mon accord pour qu'il soit utilisé sur le blog, sans le modifier au préalable. Du coup oui, il y a quelques notions qui ne sont pas abordées.
SupprimerJe suis personnellement un suiveur assidu de la Sloan Conference. Je me gave chaque année de leurs vidéos, donc oui, je suis convaincu de l'apport des stats et passionné par leur utilisation. Mais je suis également un coach, et j'ai été joueur, et je sais aussi qu'il y a une quantité énorme d'intangibles. Et plus le temps passe, plus j'ai envie de me baser sur ça plus que sur le reste.
Les stats sont géniales, mais le premier truc qu'il faut dire, c'est qu'elles doivent être lues par des gens qui comprennent ce qu'elles veulent dire. Exemple : quand Steve Kerr était GM à Phoenix, il a admis qu'ils essayaient de transférer Amare Stoudemire. Et un de ses gars des chiffres lui a dit : "JJ Hickson a un meilleur pourcentage entre 0 et 4 feet que Amare". Kerr était sous le choc. Amare était l'un des plus grands finisseurs de la ligue... Et en regardant des heures de vidéo, ils se sont rendus compte que si Hickson avait effectivement un meilleur pourcentage, c'était parce qu'il ne tentait des tirs que entre 0 et 1 foot, c'est-à-dire des dunks ou des point blank lay ups. Alors forcément sur les chiffres il était meilleur. Mais il offrait des possibilités en terme de finition bien plus limitées que Amare. Et ça, c'est la vidéo qui a pu le montrer, pas les chiffres.
Moi j'ai envie de croire aux intangibles, je n'ai pas envie de les voir disparaître au profit des stats. Je veux prendre en compte la pression qui vient des coéquipiers, qui pousse chacun à être meilleur, ou au contraire, qui crée un élan négatif. Je veux croire en ce coaching de feeling qui donne la balle à Kobe pour la gagne alors que les stats montrent qu'il ferait mieux de ne pas tenter le tir.
Même si les stats marchent, je veux parfois me tromper en les rejetant. Parce que je veux me souvenir que je fais du sport, pas un exam de maths!
C'était le contexte qui manquait et qui explique l'angle donc !
SupprimerDans ce cas on est d'accord sur toute la ligne !